" Le Moribond"
Jacques Brel
A l'occasion de la prochaine
" Journée des Morts ",
journée instituée en 998 par Odilon, abbé de Cluny
et consacrée à la commémoration de tous les fidèles trépassés,
se tiendra en la ville de Cluny, cité doublement spirituelle dans ses 2 acceptions,
ce séminaire organisé par " la Maison de l'Humour ".
Il aura lieu ce 2 novembre en la cité abbatiale
L’humour comme dernier rempart face à la Mort,
telle une grande et extrême politesse gélaste du désespoir ou peut-être plutôt d’un certain espoir pour la suite, …peut-être !
L’Humour, pour nous qui tous sommes destinés dès notre naissance jusqu’ à notre mort à cette fin de vie, est sans doute pour chacun d’entre nous, la seule façon noble de se tenir droit jusqu’au bout du bout final.
Puisque rien, comme d’aucuns le pensent, n’a de sens, rions donc de la mort, rions donc de la vie, autant que faire se peut, désignons en les failles.
Cet humour-là, c’est celui qui nous sauve en nous empêchant de ne rien prendre au sérieux tout en n’oppressant personne et en nous libérant du poids de l’absence apparent de sens.
Alors quoi, on ne pourrait plus rire de tout ?
Si, s’en moquer, rire de l’oppresseur et surtout rire aussi de tout ce qui nous interdirait de rire, telle est probablement la seule et meilleure solution pour pouvoir mourir …de rire
Etienne Moulron
Montaigne, Essais, Livre 1.
Tout semble séparer l’humour et la mort.
Comment peut-on rire d’un événement aussi sérieux, aussi tragique que la disparition de soi ou d’un être cher? Comment peut-on trouver dans une maladie, un crime, une guerre, un massacre, bref dans toute situation affligeante et horrifiante de la réalité, matière à plaisanter? Les modalités complexes du deuil et de l’accompagnement des personnes en fin de vie, les affects de la tristesse et du chagrin suggèrent qu’un décès s’accompagne d’émotions fortes qui ne laissent que peu de place à la légèreté ou à la plaisanterie. Doit-on pour autant s’abstenir de rire, de sourire et de faire de l’ironie en présence de la mort et de ses aspects solennels?
Une Fête des Morts loin d’être triste partout !
Si, en France, on associe la Fête de la Toussaint à un jour triste comme la pluie, au Mexique, on célèbre ses morts en déposant des offrandes sur des autels à la mémoire des disparus, et en chantant et dansant autour de leur tombe… Retour sur une tradition forte qui se déroule chaque année fin octobre-début novembre.
« Pour l’habitant de Paris, New York ou Londres, la mort est ce mot qu’on ne prononce jamais parce qu’il brûle les lèvres. Le Mexicain, en revanche, la fréquente, la raille, la brave, dort avec, la fête, c’est l’un de ses amusements favoris et son amour le plus fidèle », écrivait Octavio Paz dans Le labyrinthe de la solitude.
Cette fascination des Mexicains pour la mort éclate dans toute sa splendeur el Día de los Muertos (le Jour des Morts), qui célèbre le retour sur terre des êtres chers décédés. Cette fête des Morts se déroule entre le 31 octobre et le 2 novembre, mais elle peut durer plus longtemps encore dans certaines communautés indigènes.
Malgré quelques variantes selon les régions, on la dédie d’abord aux enfants disparus (« los angelitos ») puis aux adultes
https://www.cluny.tv/il-y-a-deux-ans-retour-sur-le-2-novembre-2009/
Dans un contexte de soins palliatifs, et dans la pratique de l' accompagnement des personnes en deuil, l’idée d’une « sérénité » ou d’une « posture » à retrouver, car c’est bien de cela qu’il s’agit au fond, l’humour vient et peut redonner calme et contenance quand la mort, surtout « en seconde et en première personne » pour reprendre la distinction de Jankélévitch, menace de tout désintégrer.
L'on peut dire de ces deux réalités, l’humour et la mort, apparemment bien différentes mais qui sont en réalité indissociables l’une de l’autre que l' humour est une conduite de deuil, qui fait rire de cela même qui nous afflige, le mettant par là à distance ou aidant à l’accepter; comme par exemple ce condamné à mort montant sur l’échafaud un lundi matin qui chute sur la dernière marche et qui grommelle : « Voilà une semaine qui commence bien ! » ou comme Desproges annonçant sa maladie sur scène : « Plus cancéreux que moi , tu meurs ! »
Ce qui illustre le mieux cette indissociabilité, c’est la célèbre formule d’Alphonse Allais, et qui me réjouit à chaque fois : « Ne nous prenons pas au sérieux, il n’y aura aucun survivant " . Alors que la formule, par son contenu, est plutôt sombre, et, par sa forme, plutôt banale, l'on peut y voir l’une des meilleures illustrations de ce que l'on peut appeler " le gai désespoir."
Encore faut-il avoir, c'est vrai, assez d’esprit et de recul pour s’en rendre compte et pour s’en amuser.
Nous vivons tous avec la mort au bout de notre chemin tout comme celle des autres, celle des nôtres et notre rôle face à cela est de nous tenir à la porte pour s'assurer qu'elle reste bien ouverte à la vie qui suit son cours!
Comme le disait si justement Romain Gary " L'humour est une affirmation de la dignité, une déclaration de la supériorité de l'homme face à ce qui lui arrive "
On a tous besoin de rire, des hommes et surtout de nous-mêmes, de notre condition, de notre vie et aussi de notre mort future assurée, des Dieux, et je crois que pouvoir rire du sacré est ce qui le constitue, est sa sacralité. " S'imaginer qu'on ne peut pas rire de Dieu, à mon sens, c'est le profaner " comme l'a fort justement écrit dans son livre " Vivre avec nos morts ", Delphine Horvilleur!
Attention pourtant de ne pas pousser le bouchon trop loin, jusqu’à laisser entendre qu’il n’y a rien qui mérite d’être pris au sérieux. Ce serait méconnaître l’essentiel, qui est la forme pronominale qu’Alphonse Allais donne à sa formule : il ne s’agit pas de ne rien prendre au sérieux (ce ne serait plus humour mais frivolité, dérision ou nihilisme), mais de ne pas se prendre au sérieux.
Un enfant qui souffre ou qui meurt, c’est tout à fait sérieux. Une injustice, une oppression, la guerre ou la paix, c’est tout à fait sérieux. Cela n’empêche pas absolument d’en rire, mais rend le rire, sur ces sujets, plus délicat, voire, parfois,singulièrement obscène ou choquant.
On ne rit pas par politesse, pudeur ou délicatesse, pour préserver autrui de nos angoisses. On rit pour vivre encore, pour vivre malgré tout (et d’abord malgré lamort), et pour aimer ça. L’humour, comme exception, confirme la règle qu'il semble transgresser.
Quel travail de deuil qui ne tende vers la joie ?
« Il faut rire avant d’être heureux » disait La Bruyère, « de peur de mourir sans avoir ri. »
.
" Porte les yeux sur ta mort
et tu recevras chaque souffle de vie comme un don.
Porte tes yeux sur la vie passagère
et tu verras l'éternité."
Faouzi Skali
" traces de lumière"
en citation du merveilleux livre de
Elisabeth Kübler-Ross"
Avant de se se dire au revoir"
Le court-métrage Pourquoi moi? (1980), coréalisé par Derek Lamb et Janet Perlman pour l’Office national du film, peut ici servir d’entrée en matière.
https://www.onf.ca/film/pourquoi_moi/
Ce film illustre, sous forme d’animation humoristique, la gamme d’émotions qui s’empare de l’individu lorsqu’il est confronté à une situation dévastatrice. On y voit un homme, M. Dupont (Mr. Spoon dans la version originale anglaise), rendre visite à son médecin pour un examen de routine. Ce dernier lui annonce alors une terrible nouvelle : il ne lui reste plus que cinq minutes à vivre. Choc, déni, colère, marchandage, tristesse, puis résignation, acceptation, reconstruction – toutes les étapes du deuil y passent. L’approche humoristique n’a ni pour effet de ridiculiser les réactions du patient, ni de banaliser la perspective de la mort imminente. Elle vient plutôt neutraliser le trauma et humaniser l’épreuve qui vient de s’imposer à M. Dupont, installant en lui une ouverture et un consentement, une réconciliation avec un sort cruel. Dès lors, le « rire » semble rejoindre la finalité du « philosopher » chez Montaigne : l’enjeu, ici aussi, « c’est apprendre à mourir »
La séparation entre l’humour et la mort est peut-être moins tranchée qu’on le croit.
En effet, plutôt que de les opposer comme on oppose la gaieté et l’affliction, on gagnerait assurément à observer ce qui rapproche ces deux notions. Pour ce faire, il faut aller au-delà du sens que les dictionnaires confèrent généralement au mot humour. Selon Le Petit Robert de la langue française par exemple, celui-ci désigne une « forme d’esprit qui consiste à présenter la réalité de manière à en dégager les aspects plaisants et insolites ».
Or, si le caractère « insolite » de la mort se conçoit aisément le côté « plaisant » se laisse, pour sa part, plus difficilement appréhender. On pourrait lui préférer l’idée d’une « sérénité » ou d’une « posture » à retrouver, car c’est bien de cela qu’il s’agit au fond : l’humour vient redonner calme et contenance quand la mort – surtout « en seconde et en première personne » pour reprendre la distinction de Jankélévitch menace de tout désintégrer
Pour ne pas penser à la mort, un seul remède: écrire un livre sur la mort.
Le phénomène du rire chez la Philosophe
Françoise Dastur
Ce
thème apparaît dans plusieurs ouvrages parlant de la mort et semble
relever a priori d’un paradoxe lorsque le sujet de la mort est abordé. On
remarque toujours dans les dernières pages de ces livres traitant de la
finitude et de la mort, une ouverture éclairante sur le rire.
C’est
que le rire représente pour Françoise Dastur une manière de vivre avec la pensée de la
mort, c’est-à-dire un moyen ultime d’affirmer notre mortalité qui nous pèse.
Or,
le rire dans la pensée de Dastur reste une ouverture tout à fait merveilleuse à
l’égard de la mort qui vaut la peine d’être évoquée. Nous nous efforcerons donc
d’expliquer pourquoi le rire peut aller de pair avec une pensée de la mort et
de la finitude en tâchant de montrer comment le rire permet d’alléger notre
existence. Nous débuterons en effectuant un rapprochement entre l’angoisse et
le rire selon Dastur avant de revenir sur les trois philosophes qui ont
influencé Dastur sur cette question du rire.
Si le rire permet de rendre tolérable toute tragédie, c’est qu’il a le
pouvoir d’offrir aussi une force de volonté dominant la nature.
L’ombre du fou rire
La
parenté du rire avec l’angoisse
Dastur
nous fait comprendre que le rire prend naissance dans cette réalisation de
l’absence de fondement, comme cela était le cas avec le phénomène de
l’angoisse. Ce sont effectivement deux sentiments qui se rejoignent selon elle.
En
ce sens, elle affirme que « le rire a une parenté certaine avec l’angoisse
qui est l’expérience de notre fondamentale non-appartenance au monde de la
préoccupation quotidienne dans lequel nous sommes la plupart du temps enlisés.
Le rire nous en libère, il nous délivre de l’appartenance aux choses ».
C’est donc au même titre que l’angoisse que le
rire nous libère de la préoccupation qui peut parfois se revêtir d’une certaine
banalité. En ce sens, le rire est libérateur en nous délivrant de cette forme
tyrannique du on tel que nous l’avons déjà vu dans le premier chapitre. En
d’autres termes, le rire nous aide à transcender la situation dans laquelle
nous sommes toujours et d’abord en tant que mortels.
Dastur
précise que le rire porte en soi une forme d’autodérision allégeant de ce fait
notre propre existence. Autrement dit, le rire nous décharge de ce fardeau
qu’est notre existence en commençant par supprimer tout le caractère trop
sérieux attribué à notre personne. De ce fait, Dastur suggère que « celui
qui ne sait pas rire, et d’abord de lui-même et de sa pitoyable petite
existence personnelle, ne peut donc être authentiquement humain ».
Cet
aveu fait apparaître l’audace de cette pensée du rire qui affirme que le rire
doit faire partie intégrante de l’existence d’une personne si elle veut devenir
vraiment authentique envers elle-même.
Ainsi,
on peut dire que toute réflexion d’un être mortel sur soi nécessite le rire
dans le but de le délivrer de l’appartenance aux choses.
Georges
Bataille soutient à cet égard que l’homme qui n’affirme pas sa volonté, « a
peu de cœur à rire, il ignore l’infini du rire » .
Cependant,
l’infini du rire représente tout autant un projet de grandeur dans la mesure où
l’homme affirme sa propre volonté.
Bataille raconte l’expérience d’une montée
exténuante en montagne. Dans cette périlleuse aventure, celui-ci relate que «
l’épuisement m’interdisait de rire. Pourtant, ce qui gravissait avec moi le
sommet n’était qu’un rire infini ».
Ainsi,
c’est dans la réalisation d’un tel projet, périlleux soit-il, que l’homme
s’affirme avec ce rire infini. Ainsi, le rire de Bataille nous empêche de
crouler sous le poids de cette absurdité qu’est l’existence . Il produit un
relâchement profond qui nous permet d’accepter le fait de notre existence, de
notre finitude, mais aussi le sort pénible de notre mortalité.
La
Philosophe Françoise Dastur aborde dans le même sens en soutenant que «
c’est donc dans le rire que paradoxalement, nous entretenons le rapport le plus
authentique à notre propre mortalité »
Si étonnant que cela puisse paraître, le rire
permet d’accepter notre mortalité de la manière la plus réelle possible. Il
exprime le fait d’accepter en toute simplicité que nous sommes là et que la
mort est loin d’être une punition que nous devons esquiver.
- 9h15-9h30: Acccueil et présentation des participants (Etienne Moulron, Président de l'association)
- 9H30-10h: Odilon, abbé de Cluny: " La journée des morts"
- 10h-11h : L'humour en général et de résistance en particulier
- 11h-12h : L'humour: De l'oubli de notre fragilité commune à l'éthique
- 14h-15h: Philosopher, c’est apprendre à mourir.
4Pour chacun d’entre nous, les temps se heurtent.
Celui de l’instant d’un regard et celui de sa projection dans un futur dont on pressent déjà qu’il sera dramatique lorsqu’il sera accompli.
5Cette conscience de l’éphémère, on doit au philosophe danois Soeren Kierkegaard d’avoir compris qu’elle était intimement liée à celle de l’éternité : « L’homme, écrirat-il, est un être fini qui a la conscience de l’infini. »
- 15-16h30 : Rire face à la mort
La mort n’est pas – loin s’en faut – un sujet privilégié par les humoristes. Que ce soit en littérature ou au cinéma, la mort appelle le drame, convoque les spectateurs à partager les émotions, le ressenti, le vécu des personnages mis en scène et, dans la plupart des cas, garantit le succès du film ou du livre, surtout si la mort survient suite à une maladie mortelle. Ainsi en va-t-il des nombreuses œuvres cinématographiques qui mettent en scène des personnages atteints d’un cancer ou, plus récemment, du sida2, et des livres – récits de l’agonie ou témoignages de survivants à de telles maladies. Vaincre la maladie mortelle relève du miracle ou de l’exploit – selon le degré de sa foi – et semble valoir d’être raconté pour nourrir l’espoir non seulement des victimes de telles maladies, mais de l’ensemble des gens car, on le sait, cela n’arrive pas qu’aux autres. Il est donc inhabituel que la mort fasse l’objet du rire. C’est pourquoi les rares cas de figure en cette matière offrent un grand intérêt, le rire étant selon plusieurs, le meilleur remède à toute maladie, fût-elle déclarée incurable. Par contre, il nous semble important d’apporter une réserve, ou plutôt, de nuancer le rôle de l’humour chez les patients qui souffrent d’une maladie physique par rapport à ceux atteints de maladie mentale, et de différencier l’humour et la blague.
- 16h30- 18h-: Humour et soins palliatifs
4Peut-on en rire ? Au premier abord on peut se dire que ce n’est pas compatible, que ça ne se fait pas ! Pour le grand public, travailler en soins palliatifs c’est sérieux… Et pourtant ! quand on travaille dans une unité de soins palliatifs, on s’occupe de la vie avant de s’occuper de la mort ! Et dans la vie il y a de l’humour, alors on peut s’en servir dans un service de soins palliatifs.
5Ce n’est pas non plus si simple. En effet, il doit y avoir une relation de confiance avant de pouvoir intégrer l’humour de manière sécurisante dans les soins. L’humour ne peut être bénéfique que si l’on tient compte du style d’humour individuel du patient. L’humour se doit d’être subtil, il est à doser !
6On ne peut pas se permettre de faire une blague de nous-mêmes sur les symptômes en rapport avec la maladie sauf si c’est le patient qui commence.
7De plus on doit se sentir à l’aise pour pouvoir faire de l’humour, ce n’est pas donné à tout le monde.
L’humour comme antidote au stress
8Il peut nous permettre de ne pas trop se prendre au sérieux et peut protéger des conflits.
9Une étude a prouvé que les personnes qui ont le sens de l’humour auraient une créativité plus développée, une qualité de flexibilité et une meilleure capacité de résolution de problèmes.
10Les soignants souvent confrontés à la mort utilisent fréquemment l’humour plutôt « noir ». C’est une forme de protection contre les blessures personnelles, il permet d’adoucir les souffrances, l’angoisse lors de pertes répétées.
11L’humour permet de se relier. C’est une prévention du burnout.
12L’humour n’est pas un manque de sérieux.
- 18h: Conclusions et clôture
- 20h30 : Remise du 19 éme " Prix du livre d'humour de résistance " au lauréat choisi par notre jury
Yves Cusset
“Rire ou mourir, faut-il choisir,” est un “best of” des textes philosophico-humoristiques d'Yves Cusset sur la fin de vie, le temps et la mort. Rien qui prête à rire, à priori. Mais Yves Cusset est un humoriste à part, qui a fait des études en philosophie et enseigne à l'Université en qualité de philosophe. Il nous invite à redécouvrir l'étonnement philosophique par le biais de l'humour.
En permanence dans ses textes s'entremêlent le plus grave et le plus léger, le tragique de l'existence et le comique du regard porté sur elle, l'humour et le désespoir, le jeu avec les mots et l'art de jongler avec la pensée.
Il définit lui-même l'humour comme “la bonne humeur pour mourir”!
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